2020 - Notes cinématographiques



Notes cinématographiques - une sélection de quelques films - année 2020


 

"Tenet" de Christopher Nolan

 

Si le temps est une « matière » fascinante pour les créateurs, elle demeure néanmoins insaisissable. Le nouveau film de Christopher Nolan s’en empare avec brio, mais ce qui demeure insaisissable laisse des « failles » plus ou moins visibles selon les zones explorées. 

 

Si habituellement Nolan sait habillement traverser sa quête du temps et son exploration ; cette fois, le fond et la forme créent un déséquilibre. Quand le fond devient trop sibyllin et la forme trop spectaculaire, ce déséquilibre fragilise l’ensemble. Et le rythme effréné dans lequel nous sommes entraînés, nous fait perdre la plupart du temps la trace de la quête qui nous conduit. « Le temps inversé», on finit par y arriver sans trop savoir comment nous y sommes parvenus. 

 

Film à gros budget… ça ne sert pas toujours une œuvre. Quand les moyens deviennent trop visibles, nous perdons le sens de la trame narrative au service de laquelle ces moyens sont mis en place. 

 

Le génie de ce film demeure indéniablement son montage et l’art de filmer de Christopher Nolan.

 

Les talons d’Achille de Tenet sont la musique, qui ne nous laisse aucune surprise et annonce la nature de l’action à venir, à l’instar des James Bond, dont le fantôme est sans doute le second talon d’Achille. Un fantôme qui a fait sortir Christopher Nolan de son propre univers, malgré un scénario de sa griffe. 

 

Tenet a du souffle. Tenet est une œuvre de qualité. Mais Tenet gomme paradoxalement cet univers intrinsèque à Christopher Nolan qui fait la force, le génie et la puissance des films exigeants de ce réalisateur.



"La Llorona" de Jayro Bustamante 

 

La Llorona… seuls les coupables l’entendent pleurer…

Le film, très réussi, du réalisateur guatémaltèque Jayro Bustamante est un film politique sur le génocide des indiens Mayas.

Ce huis clos nous entraine dans la spirale d’un enfermement dans un cadre aux plans majoritairement resserrés, dans un décor fermé (principalement la demeure du général responsable du génocide), souvent sans contre-champ (le tribunal, l’ambulance, …) où l’extérieur est omniprésent par la seule bande son. 

La foule proteste, manifeste pour ses morts, pour la vérité et réclame justice. Cette foule devient lentement visible par des plans fixes, sporadiques, qui l’incarnent progressivement. Mais les murs, les armes et les forces de l’ordre la maintiennent à distance. 

Quand la mémoire est bâillonnée, la vérité altérée, la justice inéquitable, il faut d’autres énergies pour aider cette foule qui pleure ses morts. Et c’est là où le cinéma prend le relais pour s’allier à la mémoire de ce peuple. Ce sont les morts qui vont unir leurs forces collectives pour briser les frontières qui séparent les mondes.

Quand la mémoire d’un peuple entre par « effraction cinématographique » dans la demeure du génocidaire, les frontières du réel s’inclinent et laissent ce « monde » faire. Le passage de toutes ces frontières est d’une subtilité à découvrir.



"Talking about trees" de Suhaib Gasmelbari

 

Ce fut un bonheur de découvrir ce documentaire. Un hommage au cinéma comme rare et un acte de résistance d’une profonde intelligence, malgré toutes les difficultés. Ne jamais renoncer à nos passions, à ce que l'on croit juste, malgré tous les obstacles et murs érigés. Quand l'amour du cinéma est plus fort que les dictatures et les dogmes religieux qui l'ont éradiqué, il donne d'incroyables énergies !! De ce combat inégal, il en ressort un optimisme qui nous transmet sa lumière et la force qui émane de la liberté.



"Nina Wu" de Midi Z

 

Quand le cinéma brise son propre miroir et nous renvoie la lumière glaçante d'un rêve d'ombres, nous franchissons quelque chose qui s'apparente à des frontières dont toute trace s'efface au fil d'un temps pelliculaire. Un temps au cours duquel les rêves et cauchemars, les mises en scène et le "réel" deviennent un seul et même monde dans lequel s'immisce la beauté du "diable"... La magie réussie du 7ème art !


 

"Je ne rêve que de vous" de Laurent Heynemann

 

Si l'idée semblait intéressante, le film est d'une déconcertante platitude et l'interprétation sonne faux du début à la fin. Une réalisation plus que décevante.



"l’ombre de Staline" de Agnieszka Holland 


Malgré quelques clichés (narration et personnages), ce film est très bien, notamment concernant la partie thriller/documentaire. Les scènes de famine en Ukraine sont terrifiantes de véracité et d'horreur. Toujours se battre pour une seule vérité... la réalité. A l'heure des fake news et de la montée des totalitarismes, ce film est important sur le fond et redonne au journalisme ses valeurs fondamentales.



"Malmkrog" de Cristi Puiu 


Un film magnifique, d'une exigence qui redonne du souffle et nous entraîne dès les premiers instants dans le tourbillon d'une vertigineuse dialectique. Un bain de pensées qui fait un bien fou, au-delà de toutes croyances. A ouvrir des brèches qui conduisent aux confins de l'état d'être en ce monde, où croire devient un piège, une issue possible, une illusion, un ultime souffle sans raison. Quand la dialectique et le raffinement d'un monde qui s'éteint deviennent les véritables personnages d'une traversée cinématographique, on ne peut que se laisser porter par les eaux d'un fleuve à l'opacité étrangement lumineuse.



"Abou Leila" de Amin Sidi-Boumédiène


Un premier long-métrage réussi. Une pépite qui vient d’Algérie. 

 

Ce film est une traversée des temps, des matières, des mondes où les rêves de l’un des protagonistes se mêlent subtilement à la réalité narrative du film dont l’action se situe en 1994, année où le terrorisme est à son apogée en Algérie. 

 

Une traversée qui nous conduit dans le désert du sud algérien où deux hommes, dont on ne sait rien, sont à la recherche de quelqu’un, de quelque chose. Le rêve est la voie choisie pour tenter d'ouvrir et d'approcher les blessures non cicatrisées d’un réel. 

 

Une traversée inversée du temps dont la puissance narrative est due à la subtilité d'un montage digne d’une dentelière. Une trame dont les fils nous perdent volontairement, le temps d’être mis sous pression, à ne plus savoir dans quel monde on se trouve. Mais dès que l’on s’imagine être égaré, le montage nous apporte goutte à goutte, au moment clé, des éléments qui nous éclairent. La bande son est superbement utilisée, faisant se superposer le temps de l'action à celui du passé. Ces flash-back sonores deviennent l’image manquante de ce puzzle cinématographique. 

 

Goutte à goutte les éléments sont distillés, les frontières du réel et du rêve gommées, à clarifier dans un époustouflant crescendo les raisons de cette traversée. Un crescendo où les plans oniriques et le réel de l’action s’imbriquent, à devenir des mirages qui nous conduisent vers une incontournable réalité sans la moindre échappatoire.


 

"Hotel by the river" de Hong Sang-soo

 

Film sublime, d’une beauté pure, d’une poésie où les plans deviennent des vers et la neige une encre blanche, où la vie vécue s’installe dans l’instant pour comprendre ce qui lui a échappé. Un film dont l'épure rend visible chaque seconde qui constitue le souffle d'un temps qui s’écoule dans les veines de chaque vivant. Que chacun comprenne ou non, il est là, il a agi, subi, il s'interroge, il cherche une voie et s'il n'y en a pas... La neige recouvre. Quand la neige devient un personnage dont la beauté feutrée dissimule les larmes, elle finit par redonner corps à la vie jusqu’à cette lisière où la mort des uns devient la force d'une déconcertante quiétude et le sommeil des autres un possible exutoire.


 

"Dawson City : Frozen time" de Bill Morrison

 

Émouvant moment de cinéma où la pellicule inflammable raconte sa propre histoire et nous restitue en son corps altéré des pans entiers d’un monde disparu. Le temps se fige dans les matières où l’histoire humaine croise celle du cinéma en cette ville de Dawson City, petite ville canadienne, située à 560 kilomètres du cercle polaire. Du temps de la ruée vers l’or, Dawson City était un haut lieu où les destins convergeaient, où Joseph Conrad y puisa une matière inoubliable et les chercheurs d’or leur part de rêves ou de cauchemars. Les bobines de films muets y affluaient. Elles finirent par être stockées, puis abandonnées et détruites. 533 furent miraculeusement sauvées par le permafrost sous lequel elles furent enterrées. Des films muets dont il n’existe aucune autre copie au monde. Les temps changent, tout passe, mais demeure ces traces que distille le destin. Ce miroir d'un monde englouti nous rappelle implicitement la précarité du nôtre.


 

"Family romance, LLC" de Werner Herzog

Quand les lignes se confondent, le réel devient une fiction et le cinéma la projection d'une déconcertante réalité. Superbe performance cinématographique de Werner Herzog.


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